Je vais vous raconter mon passé avec mon point de vue actuel, car je doute fortement que le récit d'un gamin de sept ans vous intéresse réellement.
'cause everything else is obsolete.
N'imaginez pas que j'ai baigné dans la magie depuis mes premières couches, que chez moi la vaisselle ensorcelée se faisait toute seule, que la plume à papote inscrivait la liste des courses, que dès qu'on franchissait la porte d'entrée, le paillasson enchanté nous disait bonjour... Aujourd'hui, j'aurais tout donné pour bénéficier ne serait-ce que d'un tiers de cette existence ! Mais non. Je n'ai pas eu cette chance. Non non. Je suis le fils d'un Moldu peu cultivé, d'une femme qui met la main sur tout ce qu'elle peut, l'aîné d'une fratrie de garçons que je juge tout bonnement insupportables. Ils dessinent sur les murs, cassent les babioles débiles que ma mère rapporte en cachette et quand ils n'ont plus rien à faire, ils se disputent pour savoir qui est le chouchou de nos parents ignorants. Comme si on pouvait préférer un diable à l'autre. Et moi coincé entre quatre murs (l'appartement était vraiment minuscule), entre ces quatre énergumènes, mais quelle vie ! Nos moyens financiers étaient limités, et je détestais secrètement mes parents de nous condamner à cela, même s'ils n'en avaient pas le choix. Parfois, lorsque ma rage atteignait un niveau trop élevé, les portes claquaient et les bidules en verre sur la commode explosaient. Mais je m'en fichais. Je détestais ma vie, je voulais m'en sortir au lieu de pourrir avec eux ! C'est ainsi que j'ai décidé que je ne serai jamais comme eux, que je voulais devenir quelqu'un au lieu de passer mes week end devant ma fenêtre avec un vieux bout de pizza en main. Je voulais être quelqu'un qu'on n'oublierait pas, on écrirait des livres sur ma carrière fulgurante, les petits anglais apprendraient quel homme important j'avais été, et on ne m'associerait plus jamais à ces drôles de Richardson.
Comme la plupart des enfants de mon âge, j'ai fêté mon onzième anniversaire autour d'un gâteau (au chocolat je précise, et j'en garde un délicieux souvenir) et entouré de quelques amis d'école. Pour se donner l'impression d'avoir des camarades attentionnés ? Que vieillir est un événement heureux qui mérite d'être fêté ? En quelque sorte, ouais. Ouais, je ne rêvais que de m'enfuir de cet endroit, de cette ville si je le pouvais. Et là, là, oui là, le moment qui bouleversa toute mon existence (qui se résumait à onze ans, c'était déjà ça). J'ai vu l'espèce de pigeon marron s'engouffrer par la fenêtre du salon et foncer droit sur moi. J'étais trop lent pour éviter les serres qu'il projetait vers l'avant mais il s'est arrêté à un mètre et a fait tomber un truc, puis est reparti comme si de rien n'était. J'avais attendu une minute avant de poser les yeux sur ce qu'il avait lâché à mes pieds. Il s'agissait d'une lettre au drôle de sceau, mais je n'en tenais pas compte. Je déchirai l'enveloppe et lisais ces phrases que je ne comprenais pas. Alors que je comprenais tout, d'habitude ! Quelle blague ! J'y croyais presque !
i've heard some corny birds who tried to sing.
Non, je ne rêvais pas. J'étais anxieux (mes parents étaient des gens plutôt fermés) d'être ce qu'il appelait un sorcier. Cela me rendait spécial, étrange, encore plus différent que je ne l'étais déjà. J'apprendrais à claquer les portes un peu moins fort ? Non, je savais que ça irait au-delà de ça, après sept années d'études, je serai un sorcier remarquable, je ferai connaître mon nom de tous ! Oui, j'étais ambitieux. Et je le suis toujours.
J'ai préparé ma valise comme si je partais pour toujours, j'ai fait mes achats comme j'ai pu avec la bourse que j'ai pu m'octroyer (drôle de monnaie, en passant) et après avoir tout bouclé, non sans effort, j'étais prêt à embarquer ce fameux train rouge et noir, ce Poudlard Express qui crachait sa fumée blanche. J'avais lu énormément de livres (le plus possible en un laps de temps horriblement limité) au sujet du monde magique. Il y avait des trolls, des elfes de maison réduits à l'esclavage (et cette pensée ne me dérangeait pas vraiment, ça devait être utile), un ministère divisé en départements intéressants, et tout un tas d'anecdotes farfelues qui me plaisaient énormément. On pouvait se téléporter d'un endroit à l'endroit, mais il fallait un permis ; ce que je trouvais tout à fait normal, n'importe qui ne se balade pas à travers le monde pour le fun. Et puis je vouais une adoration sans fin à ma baguette magique, celle qui m'avait choisie, celle qui m'avait attendue tout ce temps.
Je suivais les indications et me préparai à foncer droit dans le mur, la barrière, je ne sais plus. C'était la mauvaise. Je vous laisse imaginer la tête que je faisais après ça.
« Eh fiston, j'crois qu'les gens te r'gardent bizarr'ment aha ! Tu t'es pris un mu-ur en pleine fa-ace ! » Je n'avais même pas pris la peine de répondre à mon stupide père et traversais la bonne barrière magique. En espérant qu'il n'ose pas me suivre.
La première année a été fantastique. À Serdaigle, les élèves avaient cette même soif de connaissance qui m'animait, on se comprenait et j'avais des amis sur qui compter. Nous étions pareils. Seules les vacances me ramenaient à l'horrible réalité. Je regagnais l'horrible appartement moldu, supportais les blagues de mon père, comme si je pouvais faire apparaître l'argent qu'il n'avait pas. Il le croyait peut-être. J'ai toujours été convaincu qu'il ne réfléchissait pas beaucoup.
A peine quelques jours et je me sentais déjà parmi les "grands" du château. Du haut de mes douze ans, oui, je rêvais déjà d'insigne de préfet et de mes brillants ASPICs en poche. Lorsque la petite Calliope Fawthrop me demandait si je voulais bien la guider à travers le dédale qu'était l'école, j'avais accepté sans hésiter. Une sorcière Née-Moldue, tout comme moi, répartie dans la maison de l'oiseau de bronze. Nous ne pouvions que nous entendre ! Je lui apprenais les petits raccourcis, les astuces et de son côté, elle tentait de m'instruire à l'art du balai volant, comme j'aimais nommer le Quidditch. Sauf que j'étais (et suis toujours) catastrophique. Mais elle persistait, et mine de rien, je tombais moins souvent. Parfois, nous parlions de notre vie moldue, mais jamais longtemps. Parce que la magie était notre monde ce que nos proches ne comprendraient jamais autant que nous. Très vite, et tout naturellement, nous nous sommes rapprochés, puis devenus amis. C'était sûr. Entre temps, l'insigne de préfet s'était ajoutée à mon uniforme. Je pense (ou du moins suppose) que ce qui nous est arrivés était plus ou moins prévisible. Nous avions déjà bien entamé l'année scolaire, j'étais dans ma sixième et elle sa cinquième. Nous n'étions plus ces petits sorciers qui découvraient la magie. On se connaissait depuis longtemps à présent. Et ces années où on se posent des questions ; parfois trop, parfois pas les bonnes... La nôtre était « Sommes-nous plus que ce que nous sommes ? » Oui, nous étions très proches, c'en était troublant. Peut-être pas autant que nous le pensions. Je n'ai jamais su. Lui demander me paraissait affreusement gênant, alors je me taisais, j'essayais de faire comme si c'était un moment normal, mais je devais être un bien mauvais acteur. Je n'osais demander, je craignais peut-être sa réponse, je me faisais sans doute un film... Son petit manège n'était pas plus discret, on aurait dit un jeu où il ne fallait pas aborder ce sujet. Ce que nous devions avoir l'air fins devant les adultes du château, quand j'y pense ! Lorsque je frôlai ses doigts, les questions revenaient, encore plus désireuses de réponses qu'elles n'obtiendraient jamais. Et finalement, c'est arrivé. Je ne parvenais qu'à balbutier, à émettre quelques râles gênés, et je découvris la timidité, qui, à ce moment précis, surpassait toute peur d'oubli ou d'échec. Je ne me croyais pas capable d'éprouver un quelconque sentiment d'impuissance envers Callie... Je m'étais trompé. Mais ça n'allait pas. Ça n'allait plus. Je ne pouvais plus embrasser Calliope Fawthrop. Je ne voulais plus. Je ne pouvais plus embrasser mon amie. Ce baiser ne signifiait rien. Nous faisions n'importe quoi. Elle semblait du même avis que moi. Le silence nous avait enveloppés et ce fut certainement l'un des moments les plus longs de ma vie. Et si ce petit, non pas incident, mais disons épisode, allait ruiner notre relation ? J'avoue avoir eu très peur de cela, j'en serais à demi-fautif. Mais ce n'est pas redevenu comme avant. C'était plus fort, et nous étions sûr du lien qui nous unissait (et qui nous unit aujourd'hui encore), plus de doute possible.
it's an act that is crucial to success.
Je ne me souviens plus trop de cette période là. J'accrochai ma précieuse lettre à la patte d'un hibou à fière allure, j'en recevais la réponse favorable, j'étais excité comme un fou, je travaillerai dès quelques mois en tant qu'assistant personnel de Mr. Crouch, le directeur du département de la justice magique. Je ne devais négliger aucun détail. J'avais l'impression de remporter une victoire spéciale, j'étais un Né-Moldu et mon sang n'avait en rien gêné ma candidature. Comme quoi il suffisait de travailler pour obtenir ces désirs, atouts ou non au départ. J'étais si content de moi-même que j'avais hésité à envoyer une lettre à mes parents. Mais ils ne m'auraient certainement pas cru... La dernière fois que je les ai vu, j'ai tenu à leur expliquer le climat plutôt... difficile dans lequel était plongé le monde magique. Même s'ils s'en fichaient royalement, je me suis présenté comme étant l'assistant d'un des directeurs (et pas n'importe lequel) du Ministère de la Magie. Là dessus, mon père a éclaté de rire.
« Un Ministère ? Vous ? » Vous. Parce que je n'étais plus un fils à ses yeux ? J'en étais sûr ; il préférait de loin ces idiots de jumeaux qui me servaient de petits frères au brillant diplômé que j'étais.
« Vous avez copié le nôtre va ! Rien d'extra à ça ! Vous ne savez pas inventer quoique ce soit ! » Et puis il est tombé de sa chaise en hurlant de rire. Je n'en ai pas attendu la permission, et me suis tout bonnement enfui de cet appartement que je détestais plus que tout au monde. Installé à Londres, je repensais parfois à ce père qui se disait que les sorciers étaient des êtres inférieurs aux moldus, j'étais donc inférieur à lui ? Incapable de réaliser de grandes choses ? Il verrait, je lui montrerai. Je me hisserai à la plus grande place possible. Et il ne rira plus.
Je travaille jour et nuit et ça me plaît, je suis le grand sorcier où qu'il aille, reçois des compliments dont mon propre père ignore sans doute l'existence et ne m'accorde que peu de congés. Ce n'est pas grave parce que je me dis qu'il n'y a rien à voir à l'extérieur, je ne rends pas visite à ma famille et je ne suis pas quelqu'un qui soit réellement à l'aise avec d'autres. Dans les quelques personnes que je vois de temps en temps, Callie en fait évidemment partie. Elle me somme de me détendre, de voir le monde au lieu de rester cloîtré, mais je n'ai pas le temps pour ça, et ça ne m'intéresse guère... J'essaye néanmoins de faire des efforts et me fait traîner ici ou là. Je ne veux pas de petite amie, pas que ce qui m'est arrivé avec Calliope m'ait refroidi mais... Je n'y vois plus aucun intérêt. Ça ne ferait que me ralentir.
L'air satisfait de mon patron me suffit pour me faire sourire vingt-quatre heures d'affilée, je ne vois pas ce qu'une fille pourrait m'apporter à côté de ça. Souvent, je rêve d'un père aussi important que lui, de son nom et de cette chance d'appartenir à cette famille que je ne suis pas loin de vénérer. Et la réalité refait surface ; c'est l'autre grincheux qui lui sert de fils. Je l'ai déjà croisé dans les couloirs de Poudlard, il a atterri à Serpentard. Ça signifie déjà tout pour moi. Je suis déjà allé maintes fois chez Mr. Crouch, il était là, pendant les vacances, il ne faisait rien. Il ne mérite même pas de porter le prénom de son père ! Tout est si facile, pour lui, j'imagine. Alors que j'ai passé des nuits et des nuits à rédiger mes lettres, pour parvenir à correspondre avec cet homme si intelligent, si doué, si différent de son ingrat rejeton. Alors les "Sans vous Richardson...", "Heureusement que vous êtes là..." et "Qu'est-ce que je ferais sans quelqu'un d'aussi sérieux... ?", je ne les refuses pas. Au contraire, je permets à mon patron d'avoir un échantillon du fils idéal. Tandis qu'il représente ma figure paternelle rêvée.